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Nicolas Mathieu, sous un ciel ouvert : l’amour à l’ère d’Internet

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Nicolas Mathieu en interview à La Maison de la Poésie, Paris. Photo : Jean-Luc Raymond

Le 16 novembre 2024, à la Maison de la Poésie de Paris, l’écrivain Nicolas Mathieu (auteur notamment de « Leurs Enfants après eux », Prix Goncourt 2018) s’est dévoilé avec Le Ciel Ouvert, un livre né des fragments d’amour publiés sur Instagram. Entre confidences intimes et réflexion littéraire, il interroge : qu’advient-il de l’amour, de la littérature, et de nous-mêmes, dans l’immensité d’Internet ? Dans une salle suspendue à ses mots, l’auteur a exploré les entrelacs extimes, du numérique et de l’écrit. Une soirée marquée par l’exploration de ce que signifie aimer et écrire à l’ère des réseaux sociaux.

Un homme, un livre, une histoire d’amour

La scène de la Maison de la Poésie est nue, à peine éclairée. Nicolas Mathieu arrive, vêtu simplement, un pull de laine qui semble presque une carapace. Il s’assied, cherche ses mots, et finit par poser la voix. Ce soir, il ne s’agit pas seulement de lire ou de parler littérature. Non, ce qu’il va raconter touche à la vie, à ce qu’elle a de plus intime : l’amour. Le Ciel ouvert, son dernier livre, n’est pas un roman, pas non plus un recueil ordinaire. C’est une compilation de fragments écrits au fil de cinq ans, adressés à une femme aimée, déposés dans l’infini numérique d’Instagram.


« C’est le livre le plus difficile que j’ai eu à défendre, » dit-il, presque en s’excusant. Et tout de suite, il embarque la salle dans son paradoxe. Ces fragments, il ne les a pas écrits pour être lus par un public. Ils n’étaient destinés qu’à une seule personne. Cela dessine des lettres d’amour, postées à la vue de tous, mais pensées pour une seule paire d’yeux. Aujourd’hui, ils font un livre, un objet littéraire travaillé, peaufiné, relié, offert à des milliers de lecteurs. « C’est à la fois intime et exhibitionniste, » avoue-t-il. Et peut-être est-ce pour cela que tout le monde est là, suspendu à ses mots.

L’amour sous le signe du post

Au départ, Le Ciel ouvert n’avait rien d’un projet. « Ces textes, je les écrivais parce que je ne pouvais pas faire autrement, » raconte Nicolas Mathieu. À l’époque, il n’avait pas encore le Goncourt. Il n’était pas encore cet auteur reconnu et attendu. Il était juste un homme amoureux, un homme qui voulait dire ce qu’il ressentait. « Quand on aime, il faut des mots, » explique-t-il. Ces mots, il les a trouvés sur Instagram, comme on trouve un coin de rue pour coller une affiche, un mur pour écrire un graffiti.
Instagram, cela ne semble pas le lieu des grandes pensées, des réflexions profondes. Juste un flux. Une cascade d’images, de textes, de hashtags qui se bousculent. C’est un endroit où tout s’efface, où l’instantanéité est reine. « Ces messages, c’étaient des bouteilles à la mer, » dit-il. Et pourtant, ils étaient profondément littéraires. Malgré le support, malgré le format, Nicolas Mathieu écrivait comme un romancier. Chaque fragment portait en lui une émotion brute, une vérité. Chaque post façonnait une tentative de fixer l’éphémère, d’immortaliser un sentiment qui, lui, semblait devoir s’évanouir.

Le paradoxe de l’amour numérique

« Instagram, c’est un cloaque, » dit-il en souriant. Et la salle rit doucement, parce qu’elle comprend. C’est là que naissent les filtres, les illusions, les projections. Mais c’est aussi là que se trouvent les premières déclarations, les mots murmurés à travers des écrans, les premiers pas d’histoires d’amour qui ne voient jamais la lumière du jour. Nicolas Mathieu le sait bien. Il le dit sans détour : « Ce n’était pas facile à justifier. »
Le contraste entre l’intensité des sentiments et la légèreté du support est frappant. Ces textes, il les a écrits avec le sérieux d’un homme amoureux. Avec la gravité de celui qui sait que chaque mot compte. Mais à l’époque, il n’y avait rien d’autre qu’Internet pour les faire exister. « C’est la nature même du réseau : un robinet qui coule en permanence, » explique-t-il. « Mais ces mots, je pensais qu’ils méritaient d’être gravés dans le marbre. »
Alors, quand l’idée de faire un livre est venue, il a fallu aller au-delà du simple collage. Avec son éditrice, Emmanuelle Lê, il a travaillé pour transformer ces fragments en une œuvre cohérente. « Ce n’est pas juste un album Panini de mes posts Instagram, » plaisante-t-il. « Il fallait créer des échos, une musique, une profondeur. »

La fixation de l’éphémère

Dans Le Ciel ouvert, il y a l’amour, bien sûr. Mais il y a aussi le temps. Car écrire, c’est toujours fixer quelque chose qui est voué à disparaître. « La littérature, c’est la mort au travail, » dit Nicolas Mathieu, citant Jean Cocteau. Et c’est peut-être cela qui rend ces fragments si poignants. Ils parlent d’un amour qui brûlait intensément, mais qui appartient désormais au passé. « Quand je relis ces textes, je me vois comme un autre, » avoue-t-il. Pourtant, il ne renie rien. Ce garçon amoureux qui écrivait dans la ferveur, il est toujours en lui, quelque part.
Le livre, avec ses illustrations, ses blocs de texte qui ressemblent à des vitraux, est une tentative de donner une forme pérenne à l’éphémère. Une manière de dire que, même dans l’ère numérique, certaines choses méritent d’être sauvées. « Un livre, c’est comme un mur. On y fixe des choses pour qu’elles restent, » explique-t-il. Et la salle, silencieuse, semble comprendre ce besoin, ce geste presque désespéré de résister au temps.

L’amour, toujours une révolution

Mais pourquoi écrire l’amour ? Pourquoi publier ces fragments d’intimité ? Nicolas Mathieu a une réponse simple : parce que l’amour est peut-être ce qui nous rapproche le plus de l’essence de la vie. Il cite André Breton, le surréalisme, cette idée de l’amour fou comme expérience existentielle. « Aimer, c’est toujours une manière de vivre plus fort, » dit-il.
Pour lui, l’amour est un lieu où tout se joue : le désir, l’attente, la frustration, l’espoir. Et à l’ère d’Internet, cela ne change pas. « Ce qui est fascinant avec les réseaux, c’est qu’ils brouillent les frontières entre le public et le privé, » analyse-t-il. Chaque message adressé à une seule personne peut être vu par des milliers d’autres. Cela nourrit l’amour, mais cela l’expose aussi. Et peut-être que, dans ce mélange d’exhibition et de secret, quelque chose de profondément humain se joue.

Sous un ciel ouvert

La soirée se termine par une lecture musicale. Les mots de Nicolas Mathieu, portés par la voix d’un comédien et le souffle de la musique plurielle d’un artiste, résonnent différemment. Ils flottent dans l’air, comme ces fragments qu’il postait autrefois sur Instagram. Mais cette fois, ils ne disparaîtront pas. Ils sont fixés. Dans un livre. Dans les mémoires de ceux qui l’écoutent. Dans ce ciel ouvert qu’il a voulu partager.

Nicolas Mathieu revient sur scène, salue discrètement le public. Il a parlé d’amour, de littérature, d’Internet. Mais il a aussi parlé de lui. Dans la salle, les applaudissements résonnent. Chacun repart avec un peu de ces fragments, comme si cet amour raconté leur appartenait aussi.
À travers Le Ciel ouvert, Nicolas Mathieu a fait plus qu’écrire un livre. Il a capturé une époque, une manière d’aimer, une manière d’être. Et il l’a transformée en littérature. Parce qu’au fond, même dans le flux infini d’Internet, il y a des choses qui méritent de durer. Un morceau de ciel.

Nicolas Mathieu. Fin de soirée à la Maison de la Poésie. Photo : Jean-Luc Raymond


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